A mon tour de m'y coller. Mais avant laissez moi vous raconter l'histoire de ce que j'ose ehiber ici. Ce morceau a bientôt dix huit ans, il est donc normal que je le laisse quitter le foyer. Tant mieux pour lui, car jusqu'à ce soir il fait partie du passé. Oui, jusqu'à ce soir, grâce à votre curiosité.Septembre 1989.
Ma résidence privative est un quadrilatère en béton brut décoffré non isolé de 7 mètres de long sur autant de large, bref une cave de 50 M2 (comptons le palier, ça simplifiera). La toiture du « Studio », car c’est ainsi qu’on nomme le repaire, est une terrasse de superficie équivalente (moins le palier bien sûr) L’endroit, glacial en hiver, passoire au printemps, est une étuve l’été. Afin de le rendre habitable, il a fallu surélever le niveau du sol sur une surface approximative de 8.54 M2. Modifications ayant pour but de disposer divers appareils sanitaires au dessus du niveau des canalisations d’évacuation des eaux usées, plus clairement d’installer l’évier, le bac à douche et surtout le cabinet au dessus du tout-à-l’égout. Compte tenu du fait que ledit cabinet est situé au bord de la chape surélévée-sans-brise-vue, on peut considérer que j’ai jadis habité une cave à cabinet panoramique, fallait être prévoyant lorsque vous étiez invité(e).
David (guitare solo) et moi-même (Remi Brika avant la période de glaciation) travaillons sur une composition toute récente de Nadine, hypothétique future chanteuse en période d’essai aléatoire au cas où, on sait jamais.
Je m’explique : Nadine a rencontré David récemment à cause de moi (je profite ainsi de la journée de la femme) et aimerait bien prendre possession d’un micro jusqu’ici en éternelle vadrouille. En clair, elle veut prendre son pied (de micro) en chantant avec nous. Après bien des tergiversations (tout de même, elle est un peu vieille, elle a au moins vingt trois ans), supputations (si on refuse, elle va nous piquer David), interrogations (Gillou, où t’as mis les feuilles ?) et de nombreux packs de bière (pour vaincre la timidité, parfois sœur de mauvaise foi), Nadine se contentera d’une réponse dans le genre : « Euh…, ben ouais, s’tu veux, fais un morceau, après on verra… ». En clair "ça nous arrange pas trop mais bon, on n'a pas trouvé mieux pour dire non). Qu’à cela ne tienne, quelques jours plus tard, Nadine nous ramène une petite mélodie au piano, le texte entre parfaitement dans notre conception de la poésie, c’est une histoire de prisonnier innocent mais qui a la haine qu’on détruise ses rêves, les chaînes aux pieds, à la fin il s’éteint dans le feu (!!!)…etc, tout y est, elle a du fouiner dans notre cahier des charges, c’est pas possible autrement, bref on accroche, on lui signe un contrat CLDFQOSFA (abréviation de « c’est la dernière fois qu’on se fait avoir) à mi-temps, on la félicite pour cette jolie création spontanée (et on en profite ni vu ni connu j’t’embrouille pour doubler le tempo ici et là, hé, on est un groupe de rock, du moins pour l'instant). Dans quelques jours, nous projetons un week-end en studio pour l’immortaliser (la chanson, pas Nadine !).
Mais…..mais…mais mais mais mais…..je ne vous ferai pas écouter ce titre, j'avais juste besoin de vous parler de mes problèmes.
Reprenons depuis le début.
David (guitare solo) et moi-même (hybride de Depeche Mode et Sex Pistols) nous adonnons à notre passe-temps favori, la musique expérimentale, sur ce fameux Prisonnier damné maudit qui brûle dans d’atroces souffrances en enfer.
On frappe à la porte.
Mon père entre, accompagné de deux complices.
" - Bonjour p’pa, mais kestuféla, t’es pas au concours de boules ?"
Ils sortent d’un repas dominical en apparence bien arrosé et entrent chez moi sans prévenir, mais avec une bouteille de mirabelle maison (papa est de Nancy).
Puis, intimidés : « - Ah, ça change tout. Asseyez-vous, doit y avoir de la place entre les cendriers.
Mon père : - On venait juste vous faire un petit coucou.
Alex (pointeur à la pétanque, et voisin, aïe) : - Et depuis que je vous entends jouer jusqu’au petit matin, ça me changera un peu de vous avoir en vrai….
Nous : …..
Mon père : - Oooh, ça c’était avant, maintenant, z’ont évolué, les jeunes, se lancent dans le jazz ! (mon père ne nous a vus jouer qu'une fois, dans un restaurant rempli de vieux).
Nous, interloqués : re-… (mais qu’est-ce qu’y foutent là ?)
David se lance dans une petite impro pseudo jazzy pas trop convaincante, et enchaîne sur « La foule » de Piaf (…but…WHY ?...).
Kinou (tireur au carreau), brandissant la bouteille sans étiquette : « - Oh, les jeunes, vous avez vingt ans et vous jouez déjà des trucs de vieux, qu’est-ce que ça sera quand vous aurez notre âge ? Allez, buvez un coup de ça, ça vous remuera.
Nous : - Non merci, on n’a pas trop l’habitude, c’est trop fort, on est plutôt bière ou pastis. (David en profite pour s'asseoir discrètement sur le paquet d'OCB)
Alex : - Du pastis, à cette heure-ci, mais vous êtes cinglés ? Allez, buvez ça ! »
Mon père « monte » à la cuisine (trois marches, une de plus et c’était le cabinet) mais tous les verres baignent dans l’eau de vaisselle. Il ouvre la porte du buffet et en sort deux bols, pour le p’tit dej !!! Heureusement qu’il a pas touché aux saladiers !
Et nous voilà sirotant notre fond de bol à cinquante degrés de transparence décapante. Pas le moment d’allumer une clope, interdit de péter !
La triplette, d’une seule voix : « - Allez, c’est pas tout ça mais on a un concours cet après-M, mais pour la route, vous nous jouez quelque chose de moins soporifique ? »
On leur a alors joué une expérimentation conçue à l’origine pour se « chauffer » les articulations, un peu comme un chanteur ferait ses vocalises, un sportif ses étirements, un président de la république une dissolution de l'assemblée nationale….
Le 23 septembre 1989, nous avons enregistré en studio « Le prisonnier ». La prise de son terminée, nous nous sommes fait plaisir et avons mis sur bande « Mirab’hell’s Rock ».
Enregistrement en deux prises. La première, batterie-basse-clavier, la seconde guitare.
A la batterie Fred, dit Bud Weiser, 17 ans (écoutez bien, lorsque la caisse claire fait « Tac » au lieu de « Paf », donc souvent, c’est un micro qui morfle et JP qui s’arrache une mèche de cheveux dans sa cage de verre.
A la basse Cabou, sans âge, Polnaref en brun.
Ils découvrent tous deux l’existence de ce titre sans parole juste avant l’enregistrement, par le biais de ce que je viens de raconter plus haut.
A la guitare David qui, après avoir testé une demi-douzaine de six coups, reste fidèle à sa bonne vieille Ibanez à la prise jack foireuse : condamné à jouer sans bouger sous peine de craquements ultra-violents entre les oreilles, d'autant plus que, niveaux de volume et distorsion réglés au maximum sur un Marshall 120 watts, il n'entend plus rien de la rythmique dès l'instant où il touche une corde. Nous autres l'aidions en frappant dans nos mains la mesure le plus distinctement possible à travers la vitre épaisse de la régie. Mais nos jeunes et déja vieux démons s'éveillaient dès lors qu'il jouait une jolie suite de notes : nous applaudissions alors en sautant partout et hop, débrouille-toi tout seul !!
Au clavier, ma pomme. Pour le coup, j'aurais mieux fait de les regarder, sans fausse modestie aucune.
Voilà, j'ai presque tout dit (...)
Ce morceau avait récemment pris forme un dimanche après-midi, sous les yeux et les oreilles pétrifiés d’une triplette euphorique et provocante même pas demi-finaliste !
Z’avaient qu’à pas commencer !http://ranx.romandie.com/get/3961/Mirab%20hell%20s%20Rock.mp3
Andrélectrique.
N.B. "enregistrer" le fichier en cas de Pb à l'ouverture.